Nos compagnons ont du talent - Jules

Jules Huriguen vit et œuvre à Malakoff. Ses galères, ses émois, ses colères… il les écrit, il les compose, il les chante avec une tendre profondeur. On s'attache au rappeur JUNIO qui égrène ses mots doux-amers avec un regard où pointe la poésie du désarroi. Compagnon du Ressort depuis 2018.


Et enfin, le troisième et dernier chapitre de la Nouvelle policière de Ludovic Cocqueret (n°1 publié le 6.5 - n°2 publié le 13.5)

Troublantes coïncidences - chapitre 3

Paris, le dix décembre deux-mille-huit.

- Commissaire Ménaud ?
- Quoi, Lambert ?
- Un autre meurtre a encore été perpétré.
- Où ça ?
- Rue du Faubourg-Saint-Antoine, près du port de plaisance, à quelques pas d'ici.
- Il s'agit encore d'une jeune fille, rousse cette fois-ci.
- Où l'a-t-on retrouvée ?
- Dans la cage de l'ascenseur. C'est la voisine du dessous qui a donné l'alerte.
- Comment s'appelle-t-elle ?
- Suzie Mac Lee.
 
Ménaud allume sa pipe et se lève en direction de la fenêtre, assombrie par un vieux rideau exhibant des motifs orangés des années soixante-dix.
- La septième en deux mois. Le rythme s'accélère dit-il en tirant le rideau et en fixant une banderole dans la rue indiquant qu'une foire à la brocante avait lieu dans le quartier de Bastille le week-end prochain.
- Des indices ? ajouta-t-il.
- Pas pour le moment.
- Une intuition ?
 
Le commissaire Ménaud était persuadé que les bons éléments étaient ceux qui étaient guidés par leur instinct. Dans ce métier, il ne fallait pas seulement se fier aux éléments matériels mais être à l'écoute de sa petite voix intérieure qui souvent permettait d'orienter une enquête dans la bonne direction. En tout cas Ménaud en était infiniment persuadé.
- Je crois que nous avons affaire à un tueur en série qui ne s'attache qu'à massacrer des jeunes filles vivant seules visiblement.
- Oui, très bien Lambert, mais pour l'instant vous ne m'apprenez rien. Quoi d'autre ?

Lambert pouvait sentir des gouttes de sueur dévalant sa colonne vertébrale. Il se sentait toujours très vulnérable face à l'austérité qu'imposait le visage de son supérieur, noyé dans l'épaisse fumée que recrachait sa pipe.
- Je pense que ce tueur prend le temps d’épier ses victimes, qu’il les observe en toute discrétion tel un requin blanc tournoyant autour de sa proie avant de se jeter sur elle.
- Une autre version des dents de la mer ? Mais encore ?

Lambert s'efforça de contenir son intimidation.
- J'ai le sentiment que cet assassin recherche une forme de pouvoir ?
- Continuez Lambert !
- J'ai l'intime conviction que notre meurtrier recommencera très rapidement, toujours dans le quartier.
- Pourquoi ?
- Car il suit une logique.
- Laquelle ?

Ménaud s'étouffait en expirant une bouffée de sa pipe.
- Celle de respecter un ordre bien particulier.
- Je ne comprends pas.
- Déjà, le fil de fer barbelé et le collant que nous avons retrouvés autour du cou de la dernière victime dessinaient comme un 8 et, si vous analysez les lieux des crimes, vous remarquerez une chose.
- Laquelle ?

Lambert ne pouvait pas finir une seule phrase sans se faire interrompre par le flot de questions qui le déroutaient sans cesse. C’était la méthode de Ménaud.
- Et bien, je viens de repérer, sur une carte de Paris, tous les lieux des meurtres précédents répondit-il.
- Et ?
- Et bien en reliant tous les points, vous savez comme le font les enfants pour dessiner un animal ou un objet sur une feuille de papier...

Ménaud fixait Lambert avec un regard dédaigneux. Il se demandait s’il était en train de se moquer de lui ou s’il se montrait plus naïf qu'il n’en avait l'air.
- Dépêchez-vous Lambert, je n'ai pas que ça à faire ! rétorqua Ménaud.

Le teint du commissaire Ménaud initialement rose pâle tirait maintenant sur un rose à la limite du rouge carmin. La couperose qui dessinait des ridules sur son visage était de plus en plus remarquable. Ce n'était pas de bon augure, il pouvait exploser d'un instant à l'autre. Lambert le redoutait.
- Je pense que notre assassin a dessiné un tracé symbolique autour du chiffre 8 finit-il.
- Un huit ? Vous vous foutez de moi ?
- Non. Regardez bien cette carte.

Lambert brandit une carte de Paris déchirée sur les côtés et sur laquelle étaient apposées six petites punaises colorées exhibant les lieux des précédents crimes. La rue de Charonne, la rue Saint Bernard, la rue de Lappe, la rue Saint-Sabin, la rue de l'Arsenal et maintenant la rue du Faubourg-Saint-Antoine…
- Vous ne voyez pas la forme du chiffre 8 qui se dessine ?
- Mouais.
- C’est étrange non ?
- Hum…
- Si je continue à dessiner les contours de ce chiffre, un autre crime devrait se produire à hauteur du Métro St Paul. J'en mets ma main à couper.
- N’allez pas trop vite en besogne Lambert !
- Une simple intuition Commissaire.

Lambert savait qu’il avait une chance de sensibiliser Ménaud s’il s’engouffrait dans cette voie.
- Avait-on bien repéré des figures en forme de 8 dessinées sur les victimes précédentes ? demanda Ménaud.
- Non pas vraiment en fait -  en tout cas pas que je m’en souvienne - mais je crois que le tueur veut s’amuser avec nous maintenant.
- C'est-à-dire ?
- Je pense que ce chiffre, qu’il a dessiné avec le fil barbelé et le collant, est un indice qu’il a voulu nous laisser comme un artiste qui signerait une œuvre d’art.
- Vous me parlez d'un artiste ?
- J'ai l'intime conviction qu'il agit en tant que tel.
- Je ne comprends pas.
- Et bien, j'ai l'impression qu'il a le sens de l'esthétique, le goût de bien faire.
- Mouais. Je ne vois pas en quoi tuer de pauvres jeunes filles peut vous faire penser que son auteur a un penchant pour l'art ?
- Son protocole.
- Continuez Lambert.
- Il peint le corps de ses victimes avec leur sang et appose sa signature comme un maître signerait son œuvre d'art.
- Pensez-vous que nous devons donc soupçonner tous les artistes du coin ? Je ne me vois pas aller perquisitionner tous les ateliers ou lofts de l'arrondissement…

Lambert esquissa un léger rictus du coin des lèvres et saisit un stylo bic qui reposait sur le bureau du Commissaire. Il l'agita énergiquement entre ses doigts.
- Il doit certainement arriver à la fin de sa série macabre et il nous nargue. Il veut nous faire comprendre que nous sommes des incapables.
- C'est-à-dire ?
- Et bien si nous avions compris dès le début que ce chiffre représentait les lieux de ses crimes, nous serions peut-être arrivés à temps et peut-être aurions-nous mis fin à cette boucherie ?
- J’ai du mal à vous suivre. Restez un peu rationnel quand même Lambert !
- Ça paraît fou, je sais, mais si j’avais raison après tout ?

Ménaud s’était levé et faisait les quatre cents pas dans le bureau comme pour essayer d’organiser les idées qui se brouillaient dans sa tête. Il s’arrêta net.
- Comme vous le savez, j’accorde beaucoup de crédit à la part d’intuition que chacun d'entre nous a, alors si telle est la vôtre, pourquoi pas. Mais attention Lambert, ne me décevez pas !
- Oui chef répondit Lambert satisfait d'avoir eu le dernier mot.
- Où se terminerait la forme de ce fameux 8 ? demanda Ménaud, fixant le quartier du onzième arrondissement sur la carte.
- Le 8 prendrait sa forme définitive à ce niveau-là, entre les numéros 32 et 62 de la rue Saint-Paul, indiqua-t-il avec la stupeur de quelqu'un qui pensait avoir percé le fantasme d'un tueur fou.

Aéroport d'Orly, le treize décembre deux-mille-huit.

Dans un vacarme assourdissant, un Boeing 747 vient de fendre la brume stagnante en posant délicatement sur la piste d’atterrissage un lot de touristes, venus renforcer ses effectifs, à l’approche des festivités de fin d’année.

Monsieur Simonin dissimulé dans un long imperméable noir observe le balai incessant des vacanciers à la recherche de leurs bagages. Il est assis au comptoir d’un café, une valise noire sur ses genoux et remuant inlassablement le contenu de son gobelet refroidi par une longue attente. Les tableaux lumineux affichant les horaires de départ ou d’arrivée captent l’attention des touristes en générant l’angoisse de manquer un vol ou l’excitation de retrouver un proche. Soudain, un homme de grande taille au crâne dégarni et au costume sombre prend place aux côtés du médecin en s’adressant à lui :

- Bonjour Monsieur Simonin.
- Bonjour Monsieur Grushka.
- J'ai cru comprendre que vous aviez atteint votre objectif.
- Parfaitement et plus vite que prévu puisque j'ai pu m'en tenir à sept victimes seulement.
- Expliquez-moi.
- J’ai fait l’objet d’une coïncidence heureuse voire troublante. Suzie ma dernière victime avait un lien de parenté avec la dernière jeune fille assassinée du cycle précédent en Angleterre. Elles étaient sœurs.
- Vraiment ?
- Oui. Je l’ai fortuitement découvert au cours d’une séance de thérapie que cette jeune patiente suivait avec moi et que je ciblais évidemment. C’est quand-même dingue cette troublante coïncidence. Je peux en tout cas vous en apporter la preuve. Donc, ce crime compte pour deux meurtres si je m’en tiens aux règles établies dans le code de notre doctrine n’est-ce pas ?
- En effet, je m’aperçois que vous connaissez parfaitement les principes dans leurs détails et je vous en félicite. Il est judicieux de respecter les fondements de notre contrat nous permettant d’aboutir à la vie éternelle si convoitée par nous tous. Vous n’êtes pas tombé dans le piège que l’on vous a tendu…Bravo !
- Un piège ? c’est-à-dire ?
- Eh oui, mon cher docteur, nous avons évidemment toujours besoin de tester nos nouvelles recrues.
- Je ne comprends pas.
- Andrew, le père de Suzie, et donc de Cathy, vous le remettez ?
- Evidemment car je l’ai rencontré dans un avion et qu’il m’a demandé d’aider sa fille.
- Et bien figurez-vous qu’il est notre partisan le plus actif !
- Je ne comprends toujours pas.
- Je vais vous expliquer. Quand je pense que vous n’avez même pas pris la peine de vous renseigner…Ce n’est pas bien grave.
- Expliquez-moi je vous en prie !
- Les parents de Cathy et de Suzie se sont donné la mort quelques semaines seulement après le meurtre de leur fille dont ils ne se sont pas remis. Suzie était déjà fragile à l’époque du drame et la perte de ses parents l’a fait sombrer un peu plus dans une profonde dépression. Andrew qui était un imminent chef de service en pédopsychiatrie l’a prise sous son aile et a décidé de l’adopter. La pauvre jeune fille soumise à de fortes doses d’anxiolytiques et d’antidépresseurs avait quelque peu perdu le sens des réalités et elle s’était cramponnée au seul pilier qui lui restait sur cette terre. Andrew n’a pas eu de mal à se faire passer pour un père adoptif aimant. Il devait alors attendre huit longues années avant de vous l’offrir sur un plateau. Huit longues années nécessaires à Suzie pour un apprentissage parfait de la langue française, qu’elle a d’ailleurs rapidement maîtrisée.

Le sang de Monsieur Simonin se glaça. Il comprit qu’il avait été odieusement manipulé.
- Donc, pendant les huit longues années de ma formation, vous aviez préparé le terrain en sachant que Suzie serait de toute façon sacrifiée ?
- Exactement et c’est pourquoi nous l’avons parachutée en France, et plus précisément à Paris, sur le tracé classique qui vous la prédestinait. C’était aussi le pays ciblé pour notre prochain cycle. Un jeu d’enfant finalement.

Monsieur Simonin s’immobilisa sur sa chaise incapable de prononcer le moindre mot. L’homme au crâne dégarni se leva et suggéra à son interlocuteur d’en faire autant.
- A présent monsieur Simonin, le chiffre 8 symbole de l’infini en mathématiques, quand on le couche, vous permettra d’accéder à la vie éternelle. Comme conclu dans notre pacte, le sang que vous avez versé sur ce tracé symbolique vous confère désormais une immunité éternelle et vous serez ainsi protégé de toutes les maladies ou accidents jusqu’à la nuit des temps. Je vous adresserai très prochainement la date et le lieu de notre cérémonie célébrant votre succès et votre intronisation parmi les nôtres. Que diriez-vous d’être notre prochain Ambassadeur ?
- Je vous remercie Monsieur Grushka. Même si cette expérience est très onéreuse et qu’elle vaut le coup d’être vécue, en ayant pris des risques, je m’en tiendrai là, pour ma part. D’ailleurs, est-ce à vous que je dois remettre la valise ?
- Non, un de mes collaborateurs vous attend dans le parking souterrain, à la place quatre-cent-soixante-seize, au quatrième sous-sol très exactement. N’y cherchez pas une symbolique, il n’y en n’a plus désormais. J’imagine qu’il est inutile de vérifier son contenu ?
- Tout y est, vous pouvez me faire confiance.
- Très bien dans ce cas allez-y !
- Super ! J’y file de ce pas et j’attends votre convocation pour ma remise de trophée.
- Comptez sur moi, monsieur Simonin, et en attendant je vous souhaite de vivre dans la sérénité la plus totale.

Les deux hommes finirent par s’échanger une poignée de mains vigoureuse et se quittèrent en prenant des directions opposées. Monsieur Gruska se dirigea vers la porte B27 pour embarquer sur un vol en direction de Madrid. Il avait une dernière mission à accomplir en Europe et surtout un rendez-vous à honorer avec une nouvelle recrue, dont le long apprentissage devrait lui permettre d’être opérationnel dès le 23 janvier deux mille seize pour être précis.

Personne ne prêta attention à la déflagration qui retentit dans le parking sous-terrain de l’aéroport. La vie éternelle promise ne fut finalement que de courte durée.

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