Nos compagnons ont du talent ! Cécile

La rubrique récurrente de nos compagnons artistes - de métier ou par hobby, ils sont créatifs.

Compagnonne du Ressort depuis 2011, Cécile Fréchou est infographiste à Paris. Elle met aussi tout son talent et son humour à illustrer les anecdotes d'une  famille (presque) ordinaire, "Les boudins-purée". On le suppose assez bien : il s'agit bien de sa propre actualité familiale - entre 2011 et 2017 - mais elle n'ose pas le dire ! Lisez son Blog - 2 fois nominé pour la Révélation Blog à Angoulême - et vous comprendrez pourquoi… Un trait de crayon dynamique, des bulles corrosives, des mini-histoires qui dérideraient n'importe quel confiné en quelques cases !

Et comme promis, la suite de la Nouvelle policière de Ludovic Cocqueret (chapitre 1 publié le 6.5).

TROUBLANTES COÏNCIDENCES - chapitre 2

Paris, le neuf décembre deux-mille-huit.

«J’ai grandi en Angleterre auprès de mes parents qui nous ont étouffées, ma sœur et moi, de leur amour incommensurable. Ma mère avait tellement peiné à me mettre au monde qu’elle s’était juré de ne plus jamais tomber enceinte me laissant Cathy pour unique sœur. La nature ne m’a pas gâtée contrairement à elle. Je l'ai interprété comme un signe du destin. Mes rondeurs, dont je ne parvenais pas à me défaire, me complexaient terriblement. Je ne me regardais jamais dans le miroir et seule la photo de classe, trônant sur l’imposant piano noir du salon, me renvoyait quotidiennement mon image. Ma sœur, âgée d'une dizaine d'années de plus que moi, faisait davantage la fierté de mes parents. Elle avait tout pour elle… J'avais malheureusement un visage de chérubin d'une pâleur extrême et les petites tâches de rousseur qui le parsemaient me donnaient un aspect très juvénile, trahissant aussi les gènes britanniques légués par mon père. Les gens me donnaient toujours moins que mon âge ce qui accentuait la différence qui existait entre ma sœur et moi. Les carences en fer et en magnésium dont je souffrais teignaient de porcelaine ma petite frimousse qui ne demandait qu'à sourire. Mais mon physique ingrat m'avait fait devenir le souffre-douleur de mes camarades de classe, qui ne finissaient plus de se moquer de moi avec la cruauté qu’on peut leur connaître à cet âge.»

Suzie est enfoncée dans le canapé en cuir noir de Monsieur Simonin. Il utilise encore la même technique consistant à plonger ses patients dans un état hypnotique pour les faire parler. «Un soir, alors que j’avais une nouvelle fois subi de plein fouet les railleries de mes tortionnaires, je m’étais écroulée de douleur sur mon lit laissant échapper toutes les larmes de mon corps, que j’avais péniblement retenues durant de longs mois. Mais Cassie n'était jamais vraiment rassasiée. Elle envisageait d'autres plans, songeait à d'autres recrues. Elle voulait avoir le dernier mot.» Suzie s'interrompt. Monsieur Simonin est installé sur sa chaise en rotin tout près d’elle. Il tient une tasse de café et se balance à l'image d'un pendulier. Ses yeux sont grossis par des verres particulièrement épais sur les bords et portés par une monture dorée. Il n'en finit plus de scruter Suzie, fronçant des sourcils. Il griffonne des abréviations sur les pages d'un calepin noircies de récits lourds de peine. Il tente de décoder le moindre geste, de capter les émotions et de surtout saisir l'instant présent.

- Qu'est devenue ta sœur Cathy ? lui lance Monsieur Simonin.
Suzie éclate en sanglots en peinant à articuler quelques mots :
- Elle n'est plus là.
- Pourquoi ? Que lui est-il arrivé ?
- Elle a été assassinée dans un parc !
Son émotion est si vive qu'elle manque de faire basculer un vase d'un mouvement ample de sa jambe droite.
Monsieur Simonin lâche sa tasse de café qui explose en petits morceaux avant de répandre son liquide noirâtre sur la moquette déjà souillée par de la terre. Il venait de comprendre subitement.
- Suzie, s’agit-il de de Cathy Mac Lee ?
- Oui, c’était ma sœur chérie qu’on a sauvagement tuée à coups de couteaux !

La main du psychologue se mit à trembler violemment. Il resta inerte continuant à fixer Suzie. De nombreuses images de sang, mêlées à des scènes de conspiration satanique, défilent subitement dans son esprit sans qu'il puisse les chasser. Un crucifix, puis une lame de couteau, s'entrechoquent violemment. Le chiffre 8 occupe son esprit, le hante à nouveau en lui rappelant l'objectif qu'il doit remplir sans faillir à aucune des règles inscrites dans le code.

Londres, le vingt-neuf août deux-mille.

Un violent courant d’air s’invite brusquement dans le salon de Cathy qui fait basculer une des boîtes de céréales, dont le contenu se répand sur le parquet blanc de sa cuisine. Les premiers symptômes d'un déluge annoncé se manifestent. Son chien aux aguets s’empresse alors de dévorer les corn-flakes au goût de miel et se met à aboyer bruyamment à la recherche d’une autre nourriture providentielle. Elle saisit alors une serviette de bains en coton épais puis se propulse sur le carrelage humide de sa salle de bains manquant de déraper. Elle enfile rapidement son bermuda en coton, son débardeur rose bonbon et se décide enfin à sortir son chien. Elle saisit son téléphone portable, ferme prudemment la fenêtre de son salon et ne prête pas attention au signal lumineux rouge de son répondeur lui indiquant qu'un message vocal venait d’être déposé.

Elle sort d'un pas prudent, la laisse de son chien en main et le parapluie dans l’autre, au cas où un orage éclaterait. La douce lumière du soleil a maintenant laissé place à la noirceur d’un ciel transpercé par les éclairs. Des feuilles de papier virevoltent dans des bourrasques de vent grondant leur colère et imposant leur puissance. Elle emprunte son chemin habituel, contourne la pharmacie du coin de la rue dont la devanture est grisée par un rideau métallique. Elle croise furtivement quelques jeunes à l’apparence débrayée et hurlant des paroles de chansons esquintées par les effets délétères de l’alcool. Elle finit par pénétrer dans le parc déserté et s’assied sur un banc laissant son chien humer les odeurs laissées par ses congénères. Elle perçoit au loin la musique agressive dont le vacarme s’accentue de minute en minute. Ce tohu-bohu la rassure car la vie est belle et festive, se dit-elle. Les sons de guitares électriques évoluent sur un concert de basses plus tonitruantes les unes que les autres. Une voix grave et énergique, portée par un micro, déchire bientôt la plénitude d’une ville trop rangée. Le spectacle est bel et bien lancé mais pour combien de temps ? La jeune fille contrôle les aiguilles de sa montre qui trottent trop lentement selon elle. Elle se sent de mieux en mieux, Brandon ne devrait plus tarder. Elle rappelle son chien qui s’éloigne de plus en plus et en profite pour tapoter un premier texto sur son téléphone : «Grand-mère, je viens samedi prochain. Bisous». Puis un deuxième : «Brandon, j'ai besoin de toi pour mes révisions, faut que je réussisse mon…».

Soudain, sa tête part violemment en arrière. Elle sent la froideur d’une arme tranchante frôlant insensiblement son cou. Les perles fines de son collier s’entrechoquent sous l’effet de la lame qui glisse le long du bijou. Cathy expulse tout l’air de ses poumons pour appeler à l’aide mais ses cris sont recouverts par la musique bruyante qui n’en finit plus d’exciter la foule grandissante. Une main gantée finit par s’écraser sur son visage et un chiffon imbibé de chloroforme s’engouffre dans sa bouche. Ses jambes se mettent à gesticuler dans tous les sens. Elle se débat et tente d’échapper à un prédateur dont elle ne parvient pas à deviner le visage. Mais ses forces la lâchent. Elle avait raison, le tueur rôdait toujours. Son cou est tranché sauvagement et le sang jaillit en un flot discontinu. Elle ne bouge pas et son regard fixe son chien qui s’est rapproché d’elle à cause de l’agitation. Elle s’écroule sur l’herbe, inerte.

Un violent orage éclate alors et l’arrose de sa pluie abondante. La musique cesse subitement et un défilé de cirés jaunes s’affole dans les différentes artères de la capitale. Cathy reste seule sur la pelouse jaunie qui revit presque sous la déferlante d’eau. Sa dernière pensée va à sa petite sœur qu'elle promet de ne jamais quitter. Son assassin s’échappe et s’enfonce dans le petit bois juxtaposant le parc. Le parapluie de Cathy et la laisse de son chien sont délicatement posés sur son corps comme une signature macabre laissée par son meurtrier. La forme d’un chiffre est dessinée, celle d’un 8 esquissé dans la précipitation et fouetté par des trombes d’eau qui diluent un peu plus le sang de Cathy.

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