"E la nave va" - toutes voiles rabattues

A l'heure où le milieu culturel exprime sa frustration quant à la fermeture de ses lieux de travail, les commentateurs compatissent.
 
La culture est un secteur économique important.
La culture est un vecteur de vie sociale.
La culture est essentielle, etc.

On aimerait aussi évoquer la dimension émancipatrice, civilisationnelle de la pratique, de la fréquentation, du côtoiement de l'art.

"Même l’illettré qui n'a pas lu et ne lira jamais Flaubert, Rimbaud ou Joyce, ne vit pas aujourd'hui de la même façon que son semblable avant que ceux-ci apparaissent." Claude Simon, prix Nobel

Au-delà de la fonction de lien, d'échange d'idées de l'art, à l'instar de la concrète réalité socio-économique de la culture, il s'agit d'émotion partagée, d'accès à l'abstrait, de transcendance pour éprouver ce qu'on ne saurait comprendre.

La culture livre au plus grand nombre, une vision personnelle et artistique de la société des humains. C'est un acte volontaire et généreux de transmission, un murmure qui se répand, une appétence à la discussion, un effet dont l'humanité s'habille.

Aujourd'hui, aveuglé par l'urgence, on relègue la culture à sa pratique consumériste et de seul loisir, on la prive de sa capacité à réunir les corps, à communier par l'idée, à élaborer ensemble. Nous prenons collectivement, pour demain et durablement, le risque d'étouffer toute expression transcendée, toute velléité de liberté éclairée.

"Même si dans notre société pourrie, l'humanité a dû souvent et longtemps se passer du savoir et de l'art, il reste que l'un et l'autre sont essentiels à ce que nous considérons comme l'humain." Bertold Brecht

Certes, les bâtiments rouvriront. Certes, les institutions seront financées pour ré-orner la vitrine culturelle, et on s'en réjouira quand il sera temps. Mais qu'adviendra-t-il de la vocation populaire de l'art, représentée par la multitude de petites compagnies et artistes indépendants - pourtant garants de l'équilibre démocratique de la culture ? Cette Bohême, aujourd’hui rendue invisible et demain inexistante, constitue le terreau sur lequel pousse l'esprit qui arrose l'humanité des outils de son émancipation.

"L'art ne peut changer le monde, il aide à la prise de conscience de ceux qui pourraient le changer." Herbert Marcuse

La contribution des arts est fragile, si vite détruite et si longue à (re)construire ! Si on n'y prend pas garde, on pourrait être  témoin - sinon complice - de la voir rétrécir dangereusement et laisser une horrible friche où dardent les mauvaises herbes.

"Il est encore chaud, le ventre d'où a surgi la bête immonde." Bertold Brecht
 
Merci à Bahia pour la photo.

Commentaires

  1. "Un jour nous prendrons des trains qui partent" (Antoine Blondin) c'est surement vrai mais quand et pour où surtout ? Gageons que nous y serons encore ensemble, j'espère. Du courage, puisque nous n'aurons rien d'autre ... Bien avec vous. Philippe

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